ICY GIT L’OR !
Un jour, un jeune diplômé du Collège Saint-Martial
des Pères du Saint-Esprit à Port-au-Prince, dans la perspective alors ou
l’attrait de la vie religieuse ou
sacerdotale transite par Montréal pour aller poursuivre une année
supplémentaire d’études en Philosophie Thomiste au Séminaire Saint-Joseph de
Trois-Rivières.
Le directeur du collège, avec grande courtoisie, lui trouve non loin une
pension de famille. Chez un couple nouvellement arrivé dans cette ville. Sur la
rue Niverville. Un quartier incidemment peu fréquenté.
Trois mois se passent.
Ça va bien, au collège, pour
ses études.
Le jeune homme cependant, un matin de janvier tout en neige, plie bagages, quitte cette
pension, se retrouve seul, soulagé, dans une chambre… au Château de Blois… un des hôtels les plus connus à Trois-Rivières, à
quelques pas du collège.
Au sortir de ses cours, le temps venu, il prend ses
repas, on ne peut plus esseulé, dans la grande salle à dîner de l’hôtel.
Mais voilà qu’un de ces soirs, une fois remonté à sa
chambre, il entend cogner à sa porte.
Quelle surprise !
Aussitôt la porte entr’ouverte un groupe d’étudiants,
des confrères de classe, s’engouffrent à qui mieux - mieux, s’agitent autour de
lui.
On dirait une salle de
récréation !
En voilà une surprise. À n’en pas croire ses yeux. Ni
ses oreilles. Car le blond, comme ils
l’appellent, trouve tout juste assez de
place, dans cette chambre à un lit, un sofa et une chaise, pour accueillir tout
ce jeune monde.
Un sentiment de curiosité plane tout de même de part
et d’autre. Tant et si bien qu’André, qui ne tarit jamais, s’improvise
porte-parole.
Mon oncle et ma tante, les De Blois, ainsi que mes cousines Louise et Marie, qui prennent souvent leurs repas à même la bonne
cuisine du Chef, ont remarqué la
présence du blond dans la salle à manger de l’hôtel.
-
Ils sont convaincus que le
blond est en train de résoudre un problème. J’ai parlé de cela à tous
les autres copains qui nous envoient : Jacques, Gérald, Le Grand Gus et moi, en délégation. Pour savoir ce qu’on
peut faire. Être utiles au blond. À notre façon, quoi !
-
Merci pour cette visite inattendue. Merci pour
l’amitié du groupe et celle des copains. Vous m’en voyez blondir un coup !
Pour faire
une histoire courte – leur dis-je – j’avoue que c’est curieux comme parfois je
suis lent à réagir. Ça me rappelle les premières sorties à pieds avec
quelques-uns de vous, les premiers copains. Vous vous rappelez : ma
démarche on ne
peut plus
lente au cours des soirs d’été. La
nonchalance d’un naturel tropical qui contraste, en décembre ou janvier, à
faire rire mes amis vue la célérité de mes pas dans la neige lors mon baptême
trifluvien de l’hiver.
Mais quand
je réalise le ridicule de ma situation… Eh Bien… Voilà ! Pour suivre mes
cours ici, il fallait bien que je sois logé et nourri. La pension choisie
semblait bien une solution. Vrai pour aller en classe. Mais, pour les moments
de loisirs… c’est le goût de me trouver avec les copains, me distraire avec les
jeunes de mon âge.
Rien de
cela, ou presque, durant plus de trois mois. Mon milieu familial à moi se
compose dès lors d’un homme plutôt âgé, veuf, qui a épousé en seconde
noce une femme rondelette, apparemment proche de la trentaine. Il y a bien avec
elle sa belle-fille de onze ans, Diane qui,
le soir après souper fredonne seule, dans sa chambre, les dernières chansons du
« Hit parade» américain, tandis que chaque vendredi elle se rend chez l’une de
ses tantes jusqu’au lundi. Je suis bien
soigné, oui ! Mais les invitations de madame, histoire pour distraire,
tandis que monsieur, tous les soirs, assis dans sa chaise berçante fume sa pipe
qu’il ne quitte que pour aller dormir, se renouvelle à mon goût trop souvent.
Autonome par nature, je me trouve comme en otage. Car il fallait que je
l’accompagne partout, la madame, pour ses moments de loisirs: le samedi
soir au cinéma ; au spectacle donné
au Cap-de-la-Madeleine par la chanteuse française de passage Léo Marjanne ; à ses courses de magasinage.
Arrive
le temps de noël…
Chaque
année, au jour de l’an, l’époux, la fille et sa belle-mère se rendent
habituellement à Ottawa visiter la fille aînée de cette homme, religieuse au
couvent qu’une nièce de quinze ans devra rejoindre bientôt, par autobus,
quelques jours plus tard. Je leur dis
que je peux rester seul durant leur
aller-retour en voiture. Rien à faire.
La jeune femme s’obstine. Le mari et la fille doivent y aller sans elle. Parole
de femme responsable, elle ne me
laissera pas seul !
Je me sens
mal à l’aise… Et pour cause.
Pendant
ces vingt-quatre heures, j’aurais pu ainsi rêver en paix à mes parents. Aux
joies des Fêtes du Jour de l’An en
Haïti, au temps où je me trouvais au milieu des miens; avec mes frères et
sœurs… Oui…Revivre en moi tranquille la belle animation à table autour de ma
mère et ses plats fumants, pour nous, au Jour de l’an.
Penser
surtout à mon père en me rappelant, ému, qu’il ne se passe pas un soir qu’il ne
capte sur ondes courtes l’émission en langue française de Radio-Canada Internationale. Je devine cette façon bien à lui
d’exprimer sa nostalgie et de communier à distance avec son fils absent pour
des études, bien au loin, sur les bords du
Saint-Laurent en confluent avec la Rivière Saint-Maurice. En fait, comme je leur dis parfois, à satiété
souvent, dans mes missives passionnées qui passent d’un méridien à
l’autre : Trois-Rivières, ce nom fait référence aux trois chenaux que la
rivière Saint-Maurice forme à son embouchure avec le Saint-Laurent, créant ainsi
un delta et s’écoulant entre deux îles.
Ce fameux
confluent, en ce Bas Saint-Laurent où je me trouve cette année, c’est là où le
Sieur De Pont Gravé aperçoit
d’abord un premier affluent du Grand fleuve, puis une langue de terre et un
deuxième affluent qui débouche sur le même fleuve, suivi d’une autre langue de terre.
Finalement, ses marins reconnaissent un troisième affluent. Dès lors De Pont Gravé considère que ce troisième
affluent c’est une toute autre rivière.
En réalité, ce sont deux îles que je
leur décris, c'est-à-dire le Saint-Quentin et l’île De La Poterie. Qui divisent
le cours du Saint-Maurice en trois bras. À l’embouchure. Mais c’est en 1603,
leur dis- je encore ravi, que Champlain confirme ce nom. Il le dessina sur la
carte des lieux.
Voilà donc cher papa, chère maman,
mes bien chers frères et sœurs, comment le nom Trois-Rivières a survécu
au fil du temps. La ville de
Trois-Rivières leur dis-je encore, se trouve ainsi fondée en 1634. Par le sieur La Violette. N’est-ce pas, chers
amis trifluviens, dis-je un tantinet pédant à mes confrères de classe, que le nom de cette ville –Trois-Rivières –
où je vis avec vous actuellement, a été incorporé officiellement en 1931 bien
avant ma naissance car, moi, je suis né cinq années plus tard, en 1936.
– Bravo, s’écrie alors Gérald – oui ! Gérald Godin le poète déjà bien
connu et journaliste aussi à ses heures. Et André toujours taquin de
lancer aussitôt par une de ses répliques un brouhaha de rires et
d’applaudissements. Ce qui déclenche la farce à brûle-pourpoint, la farce commune
habituelle à mon sujet :
– L’avez-vous vu rougir le blond.
C’est ainsi qu’ils
m’appellent quand ils veulent me
narguer.
Ce à quoi ils s’amusent à provoquer
la réponse que je leur fais toujours à propos de cette boutade :
– «
Non! Je ne rougis jamais! Je blêmis!» Que je lance à chaque reprise.
Et les éclats de rire fusent de plus
bel.
Le calme revenu, je les replonge dans
les dédales de mon univers exotique.
– A sa façon, mon père, vous dis-je, ce soir
comme chaque soir, se trouve branché sur les ondes courtes qui parlent des
réalités lointaines. Mais surtout de la vie au Québec et au Canada. Là où se
trouve avec vous maintenant son fils. Dans l’atmosphère des Fêtes avec Gilles
Vigneault et sa chanson qu’il écouterait bien, mon père, en fredonnant aussi peut-être…
A ces mots Gérald, le
poète, de turluter avec les gars sa propre version de
la chanson dédiée sans doute à moi pour la
circonstance et reprise en chœur par les copains comme suit :
Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Les Pères ont fait bâtir maison
Et je m’en vais être fidèle
À leur manière à leur modèle
La chambre d’amis sera belle
Et toi l’humain t’es de ma race…
Mon
pays c’est pour toi un pays
Même l’hiver !!!
– Quel spectacle ! Car cette
fois, lançai-je à mes amis, vous m’en voyez rougir !
Ce fut notre grand plaisir !
Sans doute aussi comme en Haïti où
toute la maisonnée sait que mon père est en train d’occulter sa peine. Celle de
voir son fils absent des rives de sa «Grande Anse» natale et familiale. Un fils
esseulé peut-être mais foncièrement heureux quelque soit l’endroit où il se
trouve… Tel un oiseau migrateur sur les bords du Saint-Laurent. Au confluent
non pas d’un seul, mais d’un ensemble de cours d’eau qui donne son nom à une
ville. Accueillante et attrayante. Qui s’appelle Trois-Rivières.
Ce soir, comme chaque soir,
l’émission radiophonique sur ondes
courte finalement s’achève. Et mon père chaque fois nostalgique mais souriant
et calme, d’un air à ravir, par un courage à conforter toute la maisonnée, de
conclure en duo avec le présentateur de
chansons et de nouvelles de provenance continentale: «ICI, RADIO-CANADA,
la belle marque de fabrique !
La marque de fabrique de l’émission
française de Radio-Canada, souligne aussitôt le poète-écrivain Gérald !
Sur ces entrefaites, à la rue
Niverville, je vois donc venir le soir
– soirée du Jour de l’An – ainsi que le repas seul à seul avec
madame ; les confidences maintes fois répétées sur la différence d’âge
avec son mari; les grands éclats de rire qui ponctuent subitement ses
propos amusés; son goût de materner, le
moins que l’on puisse dire. Dans ma
réflexion je pensais encore: le directeur du collège se doute-t-il de ce
qui m’arrive. Dans cette petite rue
Niverville où rien d’autre pour moi ne se passe ! Dans cette
menue chambre où j’étouffe à force de m’y barricader pour mieux rester
moi-même sans me sentir envahi dans ma propre personnalité.
Ce couple
mal assorti fait peut-être de son mieux en fonction des exigences de ma vie
d’étudiant vivant chez eux comme pensionnaire qui rémunère au mieux pour leurs services, mais avec tout le
respect que je dois à madame, mon plan désormais est clair. Ce soir comme
chaque soir je m’enferme à double tour dans cette chambre que je rêve chaque
nuit de quitter. Je m’y endors – une fois de plus – comme un seul homme. Mais le
sommeil, cette nuit, n’est pas de longue durée. Quelque chose, là, un peu plus
tard, me réveille. La porte d’entrée de la maison, avec des pas sur le plancher de bois du balcon, là même où
donne la fenêtre de ma chambre, vient de s’ouvrir. Je regarde le cadran de mon
réveil. Il est une heure du matin. La visite de vingt-quatre heures à Ottawa
s’est écourtée. Le père et la fille de onze ans, que semble accompagner une
autre jeune personne, sont revenus.
Que
s’est-il donc passé ?
De toute
évidence, j’étais bien intrigué.
Car le
lendemain matin, au déjeuner en commun, je lis sur le visage de madame la
surprise de ce retour inopiné. Mais la présence tout aussi imprévue de Muguette
ce jour-là, cette nièce de quinze ans, destinée au couvent, décontracte
allègrement et retient l’attention. Une vraie fleur de la campagne transportée
dans la ville. Sans que je sache pourquoi, la décision a été prise sans préavis
de brusquer les choses, d’écourter la visite à Ottawa. Sur le chemin du retour,
on cueille Muguette au passage. Dans la chambre mitoyenne, comprise entre celle
de Diane et de la mienne s’exhalait toute la nuit cette fleur des champs dont
la senteur matinale imprègne de son arôme toute notre atmosphère. Au moment de
ce repas, de ses beaux yeux tout émus, elle ne me quitte pas du regard. J’ai
perçu ce jour-là ce qui s’appelle se parler du regard. Le sourire amusé mais
discret de Diane qui observe la
manœuvre me laisse comprendre que celle-ci, tout en étant habituellement
détachée, fugace, pouvait être, à ses heures, un tantinet espiègle et complice
à la fois.
C’en est
vraiment trop pour moi depuis vingt quatre heures. J’ai besoin d’air. Dans
cette belle neige d’hiver ensoleillé – mon père
a donc raison, mon pays à moi aujourd’hui du Québec c’est l’hiver comme
nous l’a bien appris Gilles Vigneault
– tout se prête à ma réflexion.
Ma décision est prise. Moi, si autonome par nature et bien déterminé qu’il m’a
été possible à dix-huit ans, après un cours classique fructueux et bien mené au Séminaire
Saint-Martial à Port-au-Prince, de prendre l’avion, tout seul vers New York,
Montréal, l’autobus et mon courage à deux mains pour être à Trois-Rivières,
étudier, même en latin puisqu’il le faut
- au Québec dans les années cinquante –
la Philosophie Thomiste pour être éligible éventuellement à des Études
sacerdotales, je venais de saisir quelque peu le côté ridicule de ma propre
situation au point d’ironiser au plus profond de moi-même en disant et m’envoyant la balle, une belle balle de
neige toute fraîche que je me suis lancée en pleine face en criant tout
haut : « Là, j’y perds mon latin ! »
Alors, du coup, ma décision est prise. Je quitte cette
maison ; enthousiaste ; discret ; sans tergiversation. La présence d’une fleur
des champs, son arôme même passager dans ce qu’ est mon univers, m’en donne le
courage. Demain, à l’heure où la parenté – le couple lui-même – l’accompagne à
l’autobus qui l’amène si jeune au couvent à Ottawa, je ne serai plus là.
Allons, dans ma chambre, voir aux préparatifs de mon propre départ.
J’y
retourne, me libère des accessoires, bottes, manteau d’hiver. Par le long
couloir de la maison je quitte un
instant ma chambre pour aller vers la salle à manger me chercher un verre
d’eau. Justement en sens inverse rentre à sa chambre par le même passage, face
à face avec moi mais si proche…oh ! si proche… que dans une sorte de
vertige tous les deux nos regards se sont croisés, nos bras enlacés et nos
lèvres !... Oui, nos lèvres !... Sur ses belles grandes lèvres toutes
moites j’ai déposé, heureux, mon premier baiser trifluvien !... Disons… Je dirais même je dirais plus… un
baiser pan québécois… et même pan canadien ! Un vrai premier baiser sur la
terre d’Amérique… Tant et si bien que à
quelque temps de là – n’en pouvant plus –
pensant ma Muguette malheureuse
au couvent par ma faute, la faute à ce baiser fougueux d’adieu, de tendresse
comme d’adieu, je m’en suis ouvert en privé à ce vénérable ecclésiastique et
bien pensant philosophe
professeur, en toute confiance et sincérité. Je vois d’ici ce bon vieil homme
rire tellement de bon cœur, rire de moi et rire avec moi, de mon ineffable
scrupule.
C’est,
dit-il, une expérience
enrichissante ! Car pour elle – ce souvenir là – loin de la distraire dans son
cheminement, alimentera sans doute au couvent sa vie de jeune personne
qui, autrement, s’y sentirait perdue, peut-être. Avec ce baiser d’adieu, elle
sera sans doute encore plus heureuse d’embrasser sa nouvelle vie et dira avec
ferveur : « Œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur !»
J’ai
failli répondre : AMEN ! et qu’il en soit ainsi !
Mais
songer à Muguette, à ses yeux de biche apeurée, m’a fait rester bouche
bée, bouche cousue, mais de cœur enivré,
jusqu’à ce soir, dans la joie et la détente avec Vous autres, André, Jacques,
Gérald et toi le «Grand Gus» qui me dit sa grande confidence : «Le
Blond, à la fin de mon cour, comme pour toi et les copains ici, je voulais
devenir Père Blanc d’Afrique. Désormais, je me dis que si les petits nègres
d’Afrique sont plus ou moins comme toi, je change la soutane blanche de moine pour la
blouse blanche de pharmacien. C’est pour rester comme toi et avec toi près des
petites soeurs québécoises, comme Louise, Marie et quelques autres dans nos
rencontres les samedis soirs et les dimanches…»
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