Annexe 2
L' or c'est lui !
Mon grand-père, Joseph Bonhomme, avait donné à mon père un prénom rare. Si rare, tellement inhabituel que pour moi depuis toujours, de mon enfance jusqu’à mon âge adulte, je ne connais personne d’autre qui s’appelle par ce prénom.
Par curiosité,
souvent certains membres de la famille s’enquerraient à ce sujet auprès
de grand-papa: ça pouvait être
un ami intime, un individu quelconque intrigué par ce prénom. Et voilà toute une énigme
ainsi accolée à l’appellation de cet enfant choyé.
Adulte, voilà ce
jeune homme bientôt connu comme étant le
bras droit de grand-papa.
Le plus
drôle dans tout ça, c'est l’attitude de grand-papa à l’égard de ceux
ou celles qui insistent et cherchent à percer le mystère que semble incarner ce
fils tant apprécié.
Toujours la même réponse à cette curiosité
surgit des lèvres amusées de grand papa Jo qui déclare en riant: «
L’or c’est lui !»…
C’est que l’énigme ou le mystère semble quelque chose d’innée dans la vie et la mentalité haïtienne. Hier comme aujourd’hui!
Quand on pense que selon son rythme habituel tous les deux cents ans le séisme en Haïti laisse des milliers de sinistrés. Des survivants entrain de marcher sur de l'or!
Il faut remonter assez loin dans le temps pour cerner en Haïti ce goût de l’inédit... et le comprendre quelque peu.
En rétrospective, dès la découverte d’Haïti par Christophe Colomb toute une trame d’Histoire s’est jouée pour l’occupation ou la conquête de ce pays. D’abord par les Espagnols, ensuite par les Français.
La conquête
espagnole
Pour la conquête
espagnole ce furent de longues démarches. Une longue aventure en
mer. Une incroyable odyssée !
Quelle ténacité !
Christophe Colomb,
le 12 octobre 1492, soixante-dix jours après son départ de Palos en Espagne,
accoste à l'une des îles Bahamas, Guanahani, qui devint San Salvador. Tel un Sauveur !
Après tant de périls. Tant de
péripéties. Tout au cours de
cette traversée. Jusqu’au jour où le 26 octobre
Colomb et son équipage
découvrirent Cuba.
Bientôt, le 6 décembre 1492, voici un havre, une baie. Selon le calendrier chrétien, en l'honneur du saint du jour, ce havre de paix fut dénommé Baie de Saint-Nicolas. Ainsi à partir de là, hier comme aujourd’hui d’une manière ou d’une autre, quelque chose d’incroyable et d’ineffable se passe dans cette terre qu’on appelle Haïti.
Le mot «Ayti» dans le langage du peuple
amérindien qui habitait cette île signifie «Terre de montagnes».
À ce propos,
quelqu’un, dans un texte publié dans le Quotidien Le Devoir du mois de janvier
2011, parlait d’Haïti et de son peuple comme quelque chose qui ressemble à une
légende. Selon lui, c’est une version haïtienne du «Rocher de Sisyphe». Oui,
dit-il, le Mythe de Sisyphe que Camus qualifie d'ultime héros absurde. Camus y établit
pourquoi la vie, malgré l'absurdité du destin, vaut la peine d'être vécue.
Comme si en Haïti il s’agit toujours de
faire rouler une énorme pierre jusqu’au sommet d’une haute montagne, que cette
pierre à chaque fois se remet à redescendre et qu’il faut indéfiniment la faire
remonter.
Pour notre part,
remontons aujourd’hui plutôt par la pensée vers cette terre apparemment absurde
mais jadis si merveilleuse, si florissante et si fertile qu’ alors elle
s’appela «Hispaniola» ou «Petite Espagne».
Après cette découverte, Christophe Colomb
repartit bien vite vers la Grande Espagne. Il voulait témoigner de sa belle
trouvaille, renouveler son indicible allégeance à la Reine Isabelle de
Castille.
À 1493 remonte son deuxième voyage vers Hispaniola.
Alors il créa
Isabella, première ville de l’Occident en abord du Nouveau Monde.
Vite, Christophe
Colomb et son équipe s’y installent.
Avec astuce, il maîtrise et, petit à
petit, élimine les cinq «Caciques» qui dirigeaient le pays. En moins de vingt-cinq
ans de travaux forcés infligés à ces amérindiens afin d'extraire l'or des
mines, en plus de la brutalité de l’esclavage, les maladies importées par les
conquérants, ces populations indigènes dépérirent.
Vient alors Nicolas
Ovando, successeur de Christophe Colomb dès 1503. Il s’affaire à importer des
Noirs d'Afrique. Pour remplacer les autochtones décimés. Alors, des esclaves
noirs sont transportés vers Hispaniola.
Du Dahomey, dès
1517, viennent la plupart des Noirs. Avec l’autorisation de Charles Quint, roi
d’Espagne et de l’Amérique espagnole, connu sous le nom de Charles Ier,
c’est la traite des Noirs. Elle commence
à Santo-Domingo. Là, se situe le port de
départ de la colonisation du Nouveau Monde.
Tant qu’à importer,
pourquoi pas aussi quantité de chevaux, de bovins, de porcins. Bien vite
laissés, quant à eux, en liberté. Car les espagnols, pour leur part, ne s’intéressaient qu’à une chose abondante,
bien précise et bien précieuse, l’or. Bientôt,
vers 1530, ayant épuisé en grande partie les réserves d’or dans l’Ouest
du nouveau pays, les Espagnols se rabattent sur la partie orientale de l'île.
Celle qui recèle aussi son pesant d’or.
La
colonisation française
Ote-toi que je m’y
mette - comme dit la sentence - d’ailleurs bien française. Ce qui fut dit fut
fait.
Bientôt les français occupèrent la partie occidentale de l'île. Mais à la fin du XVIe siècle, à leur tour, des flibustiers français, exilés aux Antilles pour fuir les guerres civiles en France, la persécution religieuse en Europe ou la pression économique des autorités royales, s’établirent au nord, sur l’île de la Tortue. Ils firent des incursions périodiques sur la « Grande Terre », celle qu’on appelle aujourd’hui Haïti.
Vers1625 des
Français s’installent dans la partie nord-ouest. Progressivement ils se rendent
vers le sud. Ce sont les Boucaniers, les Chasseurs d’animaux: ces bestiaux abandonnés
par les espagnols et devenus sauvages. Leur viande est mangée; leur peau vendue en cuir.
Bientôt, en France, voici l’époque de Colbert, ministre en métropole. En 1665 il nomme Bertrand Daragon sous l’emprise de qui la colonie prit son essor. Première capitale de la partie française, destinée à devenir la future Saint-Domingue, surgit alors le Cap-Français, ville érigée en 1670.
Avec l’accession au trône espagnol d'un petit-fils de Louis XIV,
le Duc d'Anjou Philipe de France en 1700, l'Espagne renonça à la possession de
l'ensemble de l'île et accepta la présence française dans sa partie
occidentale. Celle qui devint alors la colonie de Saint-Domingue (future
ou «foutue» Haïti) selon les gouts.
Officiellement, en 1777, la France proclama sa souveraineté
sur cette partie du territoire de l'île.
Sur ces entrefaites
voilà le Traité de Ryswick, 1697. Parce que, au trône espagnol, siège bien le
petit-fils de Louis XIV de France, soit le Duc d’Anjou Philippe de France, en
1700. Sous son empire la partie occidentale de l’Ile d’Hispaniola devient
officieusement d’abord, ensuite officiellement en 1777, la colonie de
Saint-Domingue.
Voilà donc, soi-disant dessinée comme étant une destinée, cette «Foutue Haïti» qui nous occupe et nous absorbe passionnément.
C'est là que se passe quelque chose d’intrigant et d’inédit dont
grand-père garde le secret et semble en parler avec plein de métaphore quand il
dit à propos de sn fils aîné bien aimé : «L’or c’est lui» !
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